Le croisé du nouveau luxe

 
Alain Némarq bouscule les codes de la place Vendôme et veut faire de Mauboussin la marque de toutes les envies féminines.
 

Des publicités dans le métro et en prime time sur TF 1, des bagues serties de pierres de couleur qui se vendent comme des petits pains… A 57 ans, Alain Némarq, patron de Mauboussin, ne tient pas en place. Il a l'œil qui miroite et des idées à contre-courant, il vient de signer une tribune dans Le Monde sur le "vrai luxe". On le dirait monté sur ressorts comme Gaston Lagaffe, l'anti-héros de Franquin. Alain Némarq lui, excelle dans le rôle du cancre de la place Vendôme, le QG parisien des joailliers. On ne le prendra pas en défaut de conformisme. Iconoclaste pour ses pairs, audacieux pour ses fans, il s'autorise toutes les libertés, c'est dans son génome. L'ancien professeur de marketing à HEC n'a jamais cessé de secouer les idées reçues.

Chez Balsan, il a été le premier à éditer des moquettes de 54 couleurs différentes parce que les clients voulaient du choix, quitte à payer plus cher au mètre. Chez Kenzo, il a osé les vestes courtes de 70 centimètres pour homme. Chez Mauboussin, il casse les prix en serrant ses marges sur les pierres et en faisant fabriquer en Chine. Et d'afficher les prix des bijoux sur ses publicités comme le font les géants de la distribution. Résultat: dans un marché en forte chute l'an dernier, les ventes du joaillier ont progressé de plus de 40%. "Mes voisins travaillent pour la plupart pour des grands groupes. Ils disent que je ne fais pas le même métier qu'eux pour défendre leurs positions. C'est clair, nous nous comportons en entrepreneurs, pas en manager", réagit-il.

Dans son bureau avec vue plongeante sur la colonne Vendôme et les vitrines écrins de la place, il prépare son prochain coup. Le 18 mars, les lecteurs du New York Times et du Asahi Shimbun découvriront la campagne "Love with friends". Un couple, sans bijoux, qui s'embrasse dans la rue. Et une invitation à franchir la porte de ses boutiques à New York et à Tokyo avec une jolie promesse à la clé: "J'offrirai un voyage à Paris aux six premiers couples qui auront acheté une de nos créations entre le 18 et le 31 mars." Un tirage au sort départagera les tourtereaux.

Tout est fait pour favoriser l'achat d'impulsion. Comme les trois collections par an de la maison, un emprunt au monde du prêt-à-porter. Fin avril, "Gueule d'amour", l'un des best-sellers, devra composer avec "Ma princesse d'amour". Taille émeraude et couleur entre le violet et le rose pour la pierre centrale, pavage diamants. Quant au prix? "Ce sera moins qu'on n'imagine": Alain Némarq entretient le suspense, il sait que certaines maisons l'attendent désormais avec des modèles "luxe accessible" en concurrence frontale.

Chercher la femme sur Internet

Longtemps agitateur, Mauboussin serait-il devenu prescripteur? "Nous avons fait bouger les lignes. Avant nous choquions, maintenant nous faisons réfléchir. Nous offrons des produits moins chers mais nous vendons avant tout un objet de création", insiste le patron de Mauboussin. Là, on touche au cœur de la pensée "némarquienne". Le marché de la joaillerie a muté : fini l'achat trophée décidé par les hommes, et place à l'achat plaisir initié par les femmes! Cette nouvelle clientèle privilégie les produits créatifs, renouvelés, accessibles et de grande qualité. "En prime time à la télévision, je sais que je la touche, pas en deuxième partie de soirée. Elle est peut-être alors sur Internet. Je suis en train d'explorer ce nouvel espace de consommation pour l'approcher comme je le fais déjà dans le métro", analyse-t-il.

Toujours réfractaire, Alain Némarq mène la charge "contre la pensée dominante du luxe" qui consiste à rendre un produit inaccessible au plus grand nombre par le prix. Un mauvais usage, selon lui, des "névroses élitistes". Pas question non plus de se ruer vers la Chine à l'instar des autres maisons de la place qui y cherchent "une compensation". Lui préfère se concentrer sur les marchés matures, où sa marque trouve encore les rendements qu'elle attend. L'audace rapporte. "Et à Paris, prévient-il, on peut aller encore beaucoup plus loin."

Bruna Basini

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