La nouvelle fièvre de L'OR

L'once de métal jaune a gagné 40 % en un an, deux fois mieux que la Bourse de Paris. Particuliers, investisseurs institutionnels, Banques centrales : tout le monde en veut et la hausse devrait se poursuivre. Pourquoi une telle passion ? Parce que, plus que jamais, l'or rassure. La fièvre de l'or pousse aussi sur les routes de Californie les chercheurs de fortune. Du nord au sud, les tamis sont ressortis. « Le Figaro Magazine » est allé à la rencontre de ces nouveaux pionniers qui prospectent non loin de Los Angeles. La folie du métal jaune gagne nos intérieurs. En cuisine et en déco, le doré est partout. Même si tout ce qui brille n'est pas d'or !

Revue de détail.

L'or est devenu la nouvelle coqueluche des investisseurs. Il y a à peine deux ans, il faisait pourtant figure de placement de père, voire de grand-père de famille. Ne rapportant rien, en baisse depuis le début des années 80, il était passé de mode. Mais l'or s'est refait une jeunesse avec la crise. Aujourd'hui, il intéresse tout le monde, les caisses de retraite, les Banques centrales, les particuliers et les gestionnaires privés.

Tous le recherchent car il est synonyme de sécurité. Il joue à fond son rôle de valeur refuge. Au plus fort de la crise, les détenteurs d'or se disaient que si les choses tournaient mal, cet actif réel, lui, serait toujours là. Aujourd'hui, la panique s'est calmée et l'or fait plutôt figure d'assurance contre les déficits astronomiques des Etats, les monnaies dont on doute et les perspectives économiques incertaines. Ce qui fait dire à Patrick Artus, l'économiste en chef de la banque Natixis, que «la perspective de hausse du prix de l'or reflète la mauvaise santé de l'économie mondiale».

Lingots, pièces, bijoux... les coffres débordent. II y a quelques semaines, les clients de la banque HSBC, à New York, ont reçu une lettre étonnante, leur demandant de venir retirer leurs avoirs des coffres de la banque sur la 5e Avenue. Motif ? HSBC stocke l'or physique détenu en contrepartie des trackers, ces nouveaux produits financiers cotés qui permettent d'échanger facilement le métal en Bourse. Et face à l'appétit des investisseurs, les stocks gonflent. La banque n'a plus de place pour entreposer tout « son » or et cherche à récupérer de l'espace. Elle détiendrait 130 tonnes de métal jaune dans ses coffres.

Le stockage est en effet le principal casse-tête de l'or. Et gare aux petites planques à la maison ! Les malfrats qui ont cambriolé début décembre le domicile parisien de Robert Peugeot, héritier de la dynastie automobile, ont vite déniché le coffre-fort dissimulé dans la salle de bains. Ils l'ont tranquillement descellé et sont repartis avec. Bilan du casse : 500 000 euros en lingots et pièces d'or... et un trou béant dans un mur !

Amorcée en 2007, la flambée des cours de l'once d'or (soit 31,10 grammes de métal jaune) s'est brutalement accélérée cet été. Depuis, les records tombent les uns après les autres, à un rythme effréné : 950 dollars en août, 1 000 dollars en septembre, 1 150 en novembre, 1 226,50 début décembre après la quasi-faillite de Dubaï... En un an, l'once d'or a gagné 40 % ! Soit deux fois plus que la Bourse de Paris. Du jamais vu... ou presque ! «Si l'on tient compte de l'inflation, l'or est encore loin d'avoir retrouvé son sommet historique de janvier 1980. A l'époque, il avait ponctuellement atteint 850 dollars, ce qui représenterait aujourd'hui environ 2 100 dollars», nuance Jean-Bernard Guyon, vice-président de Global Gestion, une société de gestion de portefeuilles. Pour qu'un investisseur ayant acheté un lingot en janvier 1980 retrouve sa mise en termes de pouvoir d'achat, il faudrait que le lingot vaille 33 890 euros... Or, il s'échange en ce moment à moins de 25 000 euros.

Mais la hausse d'aujourd'hui est exceptionnelle dans sa durée. Au début des années 1980, la ruée vers le métal jaune, provoquée par une inflation galopante, des craintes sur le dollar et des problèmes géopolitiques, avait été assez brève. «Cette fois, les cours restent durablement à des niveaux très élevés, note Hervé Lievore, chargé de la stratégie chez Axa Investment Managers. Les investisseurs sont en train de redécouvrir l'intérêt pour cet actif réel qui ne perdra donc jamais 100 % de sa valeur.»

Les experts ne prévoient pas de chute des cours. Bien que ceux-ci aient marqué une pause ces dernières semaines (ils sont retombés à 1 115 dollars l'once), en raison notamment du raffermissement passager du dollar, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à s'intéresser au métal jaune. «Les hedge funds et les investisseurs institutionnels comme les Banques centrales misent aussi sur l'or pour se protéger contre les risques», explique Hervé Lievore.

Une bulle spéculative est-elle en train de se former autour de l'or ? Les experts n'y croient guère, même s'ils s'attendent à voir le métal jaune franchir de nouveaux sommets dans les semaines ou les mois à venir. Chez Bank of America-Merrill Lynch, les spécialistes considèrent que l'or pourrait dépasser les 1 500 dollars au cours des dix-huit prochains mois ! Une hausse qui irait de pair avec une forte reprise des prix de l'énergie et des matières premières. «L'once peut atteindre 1 300, voire 1 500 dollars, avance Jean-Bernard Guyon, de Global Gestion. Mais tout dépendra de l'évolution de l'endettement des Etats, qui inquiète beaucoup les investisseurs.» Surtout depuis que la Grèce a reconnu être dans une «impasse financière» en raison de ses déficits et de son endettement astronomiques.

Depuis 2004, la Banque de France a vendu 500 tonnes d'or

La crise a rebattu les cartes et l'or en est sorti gagnant. En quelques années, le marché a radicalement changé. Dans les années 80, l'Afrique du Sud, l'Australie et l'Amérique étaient les trois grandes zones de production. C'est désormais la Chine qui est devenue le premier producteur mondial de métal jaune. «Mais les mines chinoises sont petites et la production est très émiettée», explique Tom Holl, gérant chez BlackRock, le plus grand gestionnaire d'actifs mondial.

Globalement, la production mondiale est en baisse (elle a chuté de 8,7 % entre 2001 et 2008) et insuffisante pour répondre à la demande, ce qui pousse naturellement les cours à la hausse. «Il est plus difficile qu'auparavant de trouver de l'or, ajoute Tom Holl. Depuis une dizaine d'années, les découvertes ont été minces et l'extraction est plus coûteuse.»

Côté demande aussi, le marché a changé. Crise oblige, les commandes des bijoutiers ont reculé un peu partout dans le monde (- 27 % de janvier à septembre 2009) alors que les achats de pièces, lingots et autres faisaient un bond de 43 %. Seule exception, la Chine «où les nouvelles classes moyennes achètent des bijoux en or, qui constituent à la fois des signes extérieurs de richesse et un investissement», précise Emmanuel Painchault, gérant chez Edmond de Rothschild Asset Management. La demande de la joaillerie devrait repartir lorsque les Indiens, grands acheteurs de bijoux en or, verront leur économie se redresser, prédisent les experts.

Les Banques centrales aussi jouent un rôle majeur sur le marché. «Pour la première fois depuis plusieurs années, elles qui étaient vendeuses d'or devraient être acheteuses. C'est un réflexe de bon père de famille, car l'or est un actif sûr, liquide, sans risque de contrepartie», estime François de Lassus, chez CPoR Devises, qui centralise les ordres d'achat et de vente des clients des banques en France. Les Banques centrales européennes sont structurellement vendeuses, mais depuis la crise elles se délestent moins vite de leurs réserves qu'elles l'avaient envisagé un temps (voir graphique ci-contre). C'est le cas de la Banque de France, qui a cessé ses ventes. Depuis 2004, elle a cédé quelque 500 tonnes d'or pour près de 8 milliards d'euros. Au cours d'aujourd'hui, ces opérations lui en auraient rapporté 12 !

Fait nouveau, les Banques centrales des pays émergents se sont mises à acheter de l'or pour muscler leurs réserves. Une démarche qui témoigne de leur volonté de ne plus dépendre uniquement du dollar, mais aussi de leurs inquiétudes face au creusement des déficits publics des pays industrialisés. La Banque centrale indienne a acheté récemment 200 tonnes d'or vendues par le FMI et son homologue russe a aussi procédé à des achats, quoique plus réduits. Même attitude du Sri Lanka, de l'île Maurice et de la Chine.

Faut-il suivre leur exemple et se constituer un pécule en or ? «Pour nos clients privés, nous conservons 10 % d'or dans un portefeuille, répond Christophe Bernard, responsable de la stratégie d'investissement de l'Union bancaire privée. Mais il est délicat de recommander un achat, compte tenu de la hausse des cours.» L'or victime de son succès ?

Danièle Guinot et Carole Papazian

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