L'industrie du luxe n'a pas échappé à la crise

 

Essoré par la crise, le secteur du luxe doit se réinventer. On croyait le commerce de ces fastueux produits immunisé contre la récession, il n'en a rien été et l'insolente croissance annuelle moyenne du secteur entre 2003 et 2007 (7,5 % selon Eurostaf) n'a pas résisté aux retournements de l'économie en 2008. Après une forte décélération en 2008 (+ 0,3 %), le secteur mondial du luxe, largement dominé par des acteurs français, devait entrer en récession en 2009. Le cabinet Bain & Company prévoyait fin octobre une chute pouvant atteindre 7 % pour les ventes de produits de luxe.

En dix ans, c'est donc la deuxième crise qui affecte le luxe : 2001-2003 avait déjà sanctionné les excès des années 1990, selonNicolas Boulanger, chargé du luxe chez Eurostaf. L'assainissement du secteur s'était traduit par des stratégies d'internationalisation à marche forcée - pour mutualiser les risques pays et trouver de nouveaux relais de croissance - et d'intégration de la distribution, afin d'intégrer les marges des distributeurs.

Cette fois encore, la capacité de résistance à la crise est très variable selon la taille des groupes, les segments de produits et les zones géographiques. Certaines marques très haut de gamme - Louis Vuitton, Gucci, Hermès - ont peu souffert, là où les entreprises plus fragiles ont sérieusement pâti. Les arts de la table, en proie à des difficultés structurelles, ont accentué leur déclin. La bulle du champagne a éclaté. La joaillerie et l'horlogerie ont particulièrement souffert. Les exportations horlogères suisses, fleuron du secteur, ont reculé de 23,7 % en un an. Un des géants du secteur, le groupe suisse Richemont, a, malgré son portefeuille de marques prestigieuses (Cartier, Piaget, Jaeger-LeCoultre, Montblanc, Baume & Mercier...), vu son bénéfice opérationnel chuter de 39 % au premier semestre. En revanche, la maroquinerie, qui bénéficie de marges considérables, et, dans une moindre mesure, les parfums ont bien tiré leur épingle du jeu.

Des groupes aussi variés que Bernardaud, Estée Lauder, Hugo Boss, Tiffany ou les montres Zenith ont réduit leurs effectifs. Cartier, Christofle ou Daum ont eu recours à des mesures de chômage partiel. Les défaillances d'entreprises majeures du secteur n'ont pas pu être évitées en 2009. Christian Lacroix fut la plus emblématique de la fragilité économique de la haute couture. La maison doit se séparer de 90 % de ses effectifs pour se borner à gérer quelques contrats de licences. En Allemagne, Escada a été reprise par Megha Mittal, la fille unique du magnat indien de l'acier Lakshmi Mittal, mais en Italie, le groupe IT Holding (Gianfranco Ferré, Roberto Cavalli) a toutes les peines du monde à trouver un repreneur, et Mariella Burani risque aussi le dépôt de bilan.

Les marchés mûrs, comme le Japon, les Etats-Unis et dans une moindre mesure l'Europe, se portent mal. Les Etats-Unis resteront d'ailleurs un marché difficile pour l'industrie du luxe"pendant des années", a estimé le directeur général de Richemont, Norbert Platt dansWirtschaftsWoche. "Aux Etats-Unis, a-t-il assuré, on a mauvaise conscience à s'offrir un article de luxe, quand le voisin ou le collègue vient peut-être juste de se faire licencier." En revanche, les marchés émergents, la Chine en tête, apparaissent comme un formidable réservoir de croissance. En pole position pour supplanter les premiers marchés du luxe - l'Europe puis les Etats-Unis et le Japon -, la Chine est déjà le deuxième marché de Louis Vuitton ou des cognacs Hennessy. Hermès lance même sa propre marque chinoise. "Les dépenses en produits de luxe des riches et super-riches (dont l'actif net est supérieur à 1 million de dollars) vont augmenter de 20 % à 35 % sur les marchés émergents comme le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine dans les cinq prochaines années", promet le cabinet Bain.

Dans l'Hexagone, la crise a mis en exergue le caractère éclaté du secteur, entre des grosses maisons concurrentes - LVMH ; Gucci Group, la filiale de PPR ; Chanel ; Hermès - souvent cotées en Bourse et un tissu de petits sous-traitants, de façonniers, d'ateliers qui subissent la crise de plein fouet. A la tête de soixante-dix maisons prestigieuses, le Comité Colbert défend les couleurs du luxe français à l'étranger, mais le secteur du luxe - sans doute parce qu'il est très hétéroclite - n'est pas organisé en tant que filière homogène. Des débuts d'alliances se font jour pour combattre la contrefaçon, la vente des faux sur Internet ou encore protéger à Bruxelles le système spécifique de distribution sélective.

Si le ministre de l'industrie, Christian Estrosi, veut aider les façonniers du luxe, de nombreuses réflexions restent à mener pour améliorer le secteur au niveau européen et hexagonal. Se positionnant comme un think tank de la filière, le Centre du luxe et de la création a suggéré une dizaine de mesures pour aider le secteur. Parmi celles-ci figure l'idée de "Luxe Angels" : une association d'investisseurs privés pourrait soutenir les jeunes marques. Autre piste, un seul crédit d'impôt création qui fonctionnerait comme celui accordé pour la recherche aux sociétés innovantes. Pour donner de l'oxygène aux PME et éviter que le luxe, l'un des grands secteurs français d'exportation, ne délocalise inexorablement sa production.

Nicole Vulser

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