L'American dream de Van Cleef & Arpels

L'EXPRESS - 26.10.09

Une collection de haute joaillerie sur le thème de la Californie, une prochaine rétrospective à Tokyo... Cet automne, le bijoutier de la place Vendôme multiplie les voyages.

En 1939, la famille Van Cleef & Arpels ferme son adresse de la place Vendôme et émigre à New York pour échapper au nazisme. Un bureau au Rockefeller Center, un magasin sur la très luxueuse 5e Avenue, puis des succursales à Palm Beach, Beverly Hills... Les Etats-Unis deviennent bientôt la seconde patrie du joaillier français et son marché de prédilection.

Dans le studio de création new-yorkais sont dessinés des modèles exclusifs pour sa riche clientèle d'héritières et de stars, tels ces ballerines ou ce clip fée aux ailes de diamants qu'on dirait échappés d'un film de Walt Disney, acquis en 1944 par Barbara Hutton.

2009: alors que les images de la crise financière ont terni les couleurs du rêve américain, Van Cleef & Arpels célèbre en format Cinémascope et haute joaillerie ses soixante-dix ans de présence sur le sol des Etats-Unis.

Lancée en grande pompe le 15 octobre dernier à Malibu, California Rêverie est donc une sorte de voyage halluciné sur la côte Ouest des années 1960-1970. Un trip imaginaire sur la célèbre nationale n° 1 -où défilent en version bijou panoramique la baie brumeuse de Big Sur, les palmiers de Venice Beach- entrecoupé d'escapades botaniques dans les grands parcs naturels de la région (Yosemite, la Vallée de la Mort, le désert Mojave...).

Alors, pourquoi le Grand Ouest sauvage plutôt que les forêts de gratte-ciel de New York, la easy life californienne plutôt qu'un certain intellectualisme très côte Est? Le roi de la joaillerie narrative et naturaliste s'explique: "Nous voulions sortir de nos grandes thématiques universitaires, l'Atlantide de Platon, Le Songe d'une nuit d'été, de Shakespeare, pour aborder un mythe plus populaire. Il s'agissait aussi de retrouver ce regard optimiste et dénué de cynisme des Américains", explique Nicolas Bos, directeur international de la création de Van Cleef & Arpels.

A travers ces lunettes roses, la nature, sujet fétiche de la maison fondée en 1906, prend donc la pose en format géant. Un grand disque d'opale de près de 100 carats aux feux orangés sur lequel se détachent un palmier en diamants et une mer de saphirs... On frise le cliché de carte postale.

Car, avec ses bijoux composés comme des paysages en 3D, California Rêverie est un hommage à la photographie. Américaine en l'occurrence. William Eggleston et ses couchers de soleil, la beauté sauvage des grands parcs naturels immortalisés par Ansel Adams qui ont inspiré des bracelets panoramiques : vues en mosaïques d'onyx du désert craquelé de la Vallée de la Mort fleuri de cactus ou du lac Tahoe revisité en version psychédélique. Les années 1960-1970, époque de création joaillière particulièrement inventive, ont ainsi servi de base à cette collection riche de 150 dessins. Ressortis des archives du studio new-yorkais: les bijoux aux dimensions XXL comme ces larges manchettes ou ces immenses sautoirs à grosses perles de calcédoine, les associations de pierres dures et fines comme la turquoise avec l'améthyste, le corail et le grenat mandarin.

Les couleurs aussi, plus intenses qu'ailleurs sous la lumière de Californie. Le bleu "Splash" des piscines peintes par David Hockney qui perle au bout d'une paire de boucles d'oreilles, le rose du plumage d'un flamant, de l'orange vibrant, du vert émeraude... "La grande difficulté était de ne pas tomber dans la fantaisie", avoue Nicolas Bos. Mais ces pièces uniques ont lancé aussi des défis techniques à la cinquantaine d'artisans qui travaillent depuis un an à leur réalisation.

Dans les ateliers de la maison, place Vendôme, les opales, que leur nature friable a placées du côté des gemmes maudites, ont donné du fil à retordre aux lapidaires. De ces pierres brutes, il a fallu faire éclore des fleurs évanescentes dans lesquelles vient butiner un colibri précieux, faire surgir le corps d'un toucan de ce bloc d'onyx. "Cela faisait longtemps que nous n'avions pas sculpté des pierres ornementales dans des formes si complexes. Ce qui nous a valu pas mal de casse", raconte Nicolas Bos. Mais en attendant le retour de la collection à Paris, au printemps prochain, Van Cleef & Arpels s'évade déjà vers Tokyo. Ainsi, le Mori Arts Center accueillera du 31 octobre 2009 au 17 janvier 2010 une grande rétrospective (plus de 250 pièces exposées) dédiée au joaillier. Le prélude à une prochaine rêverie orientale?

Charlotte Brunel

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