Bijoux fous, bijoux faux

 
On les dit "fantaisie", mais certaines pièces des paruriers et couturiers français des années 1950 à 1980 sont parfois de véritables oeuvres d'art. Abordables qui plus est! Une bonne raison pour se mettre à les collectionner...

Cela ressemble à des rubis, cela a la couleur des rubis, mais c'est du verre facetté... En ces périodes de crise, optons joyeusement pour le bijou fantaisie! D'autant qu'il affiche une audace, une liberté que l'on ne trouve pas toujours en joaillerie. Cela dit, entendons-nous sur le terme "fantaisie". Nous ne voulons pas du toc, nous célébrons le faux, certes, mais le vrai faux. Les accessoires d'après guerre évoqués ici étaient destinés aux couturiers et sortaient des blanches mains de nos artisans.

Admirez: cristaux taillés comme des gemmes, sertis dignes des joailliers, chaînes de métal bouclées en queue-de-cochon - pour éviter qu'elles ne se dénouent -strass argenté... Travail d'orfèvre! "Hélas! les paruriers français disparaissent les uns après les autres", pleure Patrick Sigal, collectionneur et marchand, dont la galerie Ciel mes bijoux! défend, de Bruxelles, les créations de chez nous. "La mode, déjà, fait appel à des fabricants étrangers."

Quelques-uns de nos artisans résistent. Sauvée de justesse, Gripoix, quatrième génération aux commandes: la maison est renommée pour ses émaux de verre aux coloris exquis et son art de nacrer les fausses perles.

Robert Goossens est octogénaire, son atelier va-t-il demeurer? Grâce à la société Chanel, qui le cajole dans son giron, il semble pour le moment à l'abri. Ce sont leurs oeuvres qu'il faut traquer. Et vite! Déjà les modèles pour la haute couture entrent dans les musées. La prestigieuse galerie des bijoux du musée des Arts décoratifs à Paris n'accueille-t-elle pas ces fantaisies? Les broches naturalistes de Roger Jean-Pierre, dont les compositions en pierres taillées du Tyrol inspirent un certain joaillier de la place Vendôme (devinez lequel); les parures du délicat Scemama, qui ornaient les tenues de Balenciaga ou de Jacques Fath... Autant de pièces qui furent offertes par une collectionneuse, Barbara Berger, américaine, folle de faux joyaux et fille de diamantaire... On appréciera l'ironie.

Oui, la création pour la haute couture, la pièce unique qui servira le temps d'un défilé, se fait rare sur le marché. Elle se négocie à prix d'or -dépassant notre barre fatidique des 1 000€; elle s'échange entre initiés, armés d'une lourde documentation qui permet d'identifier les auteurs. Car, évidemment, les paruriers ne signaient pas leurs ouvrages, ils restaient dans l'ombre. Pas plus que les couturiers n'apposaient leur nom. Dans l'impatience de dévoiler leur collection, ils choisissaient les accessoires chez l'un ou l'autre des artisans, et hop! sur les podiums. Les signatures, celles d'un Dior ou d'un Saint Laurent, apparaissent dès lors que le bijou est diffusé en boutique. Le prêt-à-porter, voilà ce que nous allons chercher. Une mine!

Les créations de Chanel sont légion. C'est Mademoiselle Chanel, nul ne l'ignore, qui mit en valeur le colifichet fantaisie, fustigeant, de ce mot légendaire, les dames qui promenaient fièrement leurs rivières de diamants: "Autant porter un chèque autour du cou!" Allègrement, elle mélangeait joyaux authentiques et pacotille. "Les clientes ne veulent que Chanel!" constate, avec quelque tristesse, Isabelle Klein, dans son magasin plein de charme et d'accessoires de mode, au marché aux puces.

Surtout depuis la sortie des films consacrés à Coco. Pour porter une marque, les snobs dépensent sans hésiter 600, 800€. "Elles s'arrachent les sautoirs, les chaînes, les ceintures dorées... bref, tout ce qui pend et fait bling-bling: très 1980", poursuit Isabelle Klein. Alors, soyons finaudes, remontons le temps, lorgnons du côté des années 1950 et 1960.

Les modèles d'alors sont si féminins! On en voit de toutes les couleurs. Colliers en collerette, dont les pierres -cristaux de Swarovski ou strass- descendent en cascade ; ils épatent la galerie, promis! (autour de 400€). Les ras-de-cou formés de perles s'enroulent sur quatre, voire cinq rangs. ô combien élégant.

En portant un bracelet manchette (le genre revient en force), réalisé pour Carven ou Sonia Rykiel, vous brillerez à peu de frais (de 250 à 300€). Fouillons dans le fonds d'atelier du parurier Woloch qu'Isabelle vient d'acquérir: des boucles d'oreilles sont affichées à partir de 30€. Pourquoi se priver? On y découvre également des colliers de perles produits pour Hechter. Les couleurs flashy des sixties, on adore.

Guettez aussi ce nom: Jacques Gautier, artiste de l'artifice. On commence à le monter en épingle. Autre filon: le bijou américain ou costume jewelry. Il est né au moment de la Grande Dépression, il fait florès après la guerre, dans les corners des grands magasins aux Etats-Unis. Quelques décennies plus tard, il traversait l'Atlantique pour débarquer chez nos brocanteurs. Certes, quelques créateurs sont déjà très prisés. Miriam Haskell, notamment. Une modiste dont on reconnaît les oeuvres à leur style "rocaille": des perles de verre montées sur fils dorés et tressés, travail en filigrane inspiré de Byzance et de l'Inde.

Au firmament, on rencontre aussi Joseff, dit, avec modestie, Joseff of Hollywood. Enseigne méritée: il décora les stars du cinéma, à la ville comme à l'écran, Vivien Leigh dans Lady Hamilton ou Katharine Hepburn dans Mary Stuart. En ce temps-là, les bijoux d'imitation, articles de nouveauté, prolifèrent. Ils sont signés Boucher, Coro, Eisenberg, Hattie Carnegie, Hobé, Trifari... Encore une fois, remarquons la qualité de l'exécution. Et pour cause: certains créateurs étaient formés aux techniques de la joaillerie. Marcel Boucher fit son apprentissage chez Cartier. La maison Trifari employa un dessinateur, Alfred Philippe, qui avait travaillé pour Van Cleef & Arpels à Paris. Voilà ses broches en pierres du Rhin qui ne demandent qu'à passer pour des améthystes (proposées à 175€). Le violet est à la mode, vous le savez. Kitsch ? Original!

Concluons par ce conseil que nous donne, généreuse, la collectionneuse Barbara Berger: "N'achetez jamais une pièce en mauvais état. La verroterie ne se répare pas. Qu'une fausse turquoise, qu'une bille de verre nacrée, vienne à manquer, elle ne pourra pas être remplacée. Contrairement aux pierres précieuses..."

Laure Colineau

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