Dans l'univers secret des diamantaires d'Anvers


Les diamants, qu'on dit éternels, ont une capitale : Anvers. Près de 80 % de la production mondiale passe par le port belge. Son négoce fait vivre 5 000 marchands, juifs et indiens pour l'essentiel. Une activité qui brasse chaque année des milliards d'euros. Visite avec un connaisseur des lieux, l'écrivain Vincent Crouzet.


ANVERS (de notre envoyé spécial). On a toujours plié les feuilles comme ça. Quatre fois dans la largeur, deux fois dans la hauteur. Dans l'enveloppe ainsi formée, il se transporte des fortunes en petits cailloux. Bienvenue chez les diamantaires d'Anvers. Un monde étonnant qui marie le meilleur de la technologie avec des pratiques commerciales d'un autre temps. Ici, point de contrat. La parole donnée vaut tout. Car une mauvaise réputation ruine plus sûrement son homme qu'un procès perdu.

Du Mozambique, de Sibérie ou d'Afrique du Sud, 80 % des pierres extraites dans le monde passent par le grand port des Flandres. « 26 milliards de dollars de chiffre d'affaires. 10 % du produit intérieur brut belge dans un triangle de trois rues », s'amuse Vincent Crouzet, expert en géopolitique et auteur d'un thriller sur l'univers du diamant.

Hoveniers straat est l'une des trois rues de ce triangle magique. On y croise des Juifs hassidiques coiffés de chapeaux noirs à larges bords. D'autres avec barbes et papillotes qui indiquent une pratique orthodoxe. Beaucoup d'Indiens, aussi, issus des « 400 familles » qui tiennent la moitié du marché. Et des businessmen, courant à un rendez-vous, l'attaché-case enchaîné à l'avant-bras. « C'est un endroit où l'on peut rencontrer un financier du Hezbollah puis le fils du chef des services secrets israéliens. La rue est une zone de non-agression », assure Vincent Crouzet.

Chaque jour, il se brasse des dizaines de millions d'euros dans ces immeubles mornes, que d'innombrables caméras ont transformés en lieu le plus surveillé au monde. L'un des plus sûrs, aussi : jamais d'attaque à main armée. Un cambriolage, quand même, il y a deux ans. Officiellement, 100 millions d'euros de butin. En réalité, sans doute le double. Le diamant peut aussi manquer de clarté...

Cette rue est le terrain de jeu de Sacha, 37 ans. Il est courtier, c'est-à-dire d'abord rabatteur pour un diamantaire. Son travail : ouvrir ses oreilles. Activer son réseau. Il fait remonter les affaires à son patron. Négocie à sa place quand elles ne sont pas trop importantes. Et est payé au pourcentage. Même si la crise a porté un rude coup aux affaires, Sacha est un homme occupé qui passe une partie de son temps le portable à l'oreille et l'autre dans les bureaux à « voir des pierres ».

« Nous pratiquons un métier à risque »

À mi-rue, pas loin de la petite synagogue, voici la Bourse du diamant où n'entre pas qui veut. Il y a vingt ans, on y était pressé comme dans le tramway un soir de match. Ce mercredi matin, le vaste hall aux relents d'encaustique est quasi désert. « Une grosse partie de la transaction se fait maintenant par Internet. Quand la pierre arrive, on sait déjà tout d'elle », soupire avec nostalgie Arthur Beller, son président. Quelques marchands conversent autour d'un café. Sur un panneau, des portraits d'hommes au visage fermé. « Les proscrits », précise Vincent Crouzet en lisant pour chacun le motif de l'excommunication.

Une fois à Anvers, le précieux caillou est acheté, puis souvent revendu une, deux ou trois fois, jusqu'à ce qu'il trouve son prix. Celui-ci dépend des « 4 C » : clarté, couleur, « cut » (la taille). Et bien sûr, le nombre de carats (un carat = 0,2 gramme). L'évaluation est un moment crucial car les sommes engagées sont énormes. « La marge d'erreur est d'environ 10 %, c'est-à-dire à peu près l'équivalent de ce que nous gagnons. Vous voyez, nous pratiquons un métier à risques », commente ce négociant. On n'ira pas pleurer. Le diamantaire anversois émarge rarement au RMI. Il serait plutôt du genre Porsche Cayenne et grosse maison.

Une fois acquise, reste à tailler la pierre. Il va s'en perdre au moins 40 %. Malheur à celui qui choisirait un mauvais plan de taille ! Dans cet atelier parmi les plus modernes de la place, le caillou est d'abord passé dans un scanner qui localise les impuretés. Puis un ordinateur calcule la meilleure taille, celle qui fera le moins de perte. Quand la pierre est grosse, le tailleur prend son temps.

Cela peut durer des mois, mais le jeu en vaut la chandelle. Steve, 23 ans, beau gosse au sourire coquet, vous pose avec délicatesse sur le dessus de la main une amande qui étincelle du feu du ciel. « Celle-là, chez le joaillier, elle vaudra quoi... allez, deux millions d'euros. » Et elle a commencé dans une bête feuille de papier, comme un pliage d'écolier. Les diamantaires sont des petits Poucet qui jouent avec des morceaux d'éternité.

Marc MAHUZIER

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