Le marché russe, chant du cygne ou turbulences passagères?

Suite à la réduction spectaculaire de certaines grosses fortunes russes, d'aucuns craignent de lourdes conséquences sur les secteurs de l'horlogerie et de la joaillerie.

Alors qu'elle connaît depuis une dizaine d'années, un taux de croissance fort et soutenu, la Russie n'échappe pas à la crise financière. Suite notamment à l'effondrement du cours des matières premières, bon nombre d'oligarques et d'hommes d'affaires ont vu leur fortune fortement réduite. Selon Forbes, en 12 mois, ce pays aurait perdu deux tiers de ses milliardaires. Et la ville de Moscou, qui en recensait 74 il y a une année, n'en décompterait plus que 27.

De la cigale à la fourmi

Face à ces chiffres alarmants, les secteurs de l'horlogerie et de la joaillerie, dont la forte croissance de ces dernières années a été portée en grande partie par des pays dits «émergents» comme la Russie, tremblent à l'idée de perdre ce marché. Si une baisse de la demande se fait déjà ressentir en Suisse, on assiste surtout à un changement de comportement. Alors qu'il y a quelque temps, certains " nouveaux Russes " dépensaient des sommes extravagantes pour des produits à la mode, les nombreux revers financiers qu'ils ont essuyés dernièrement les ont quelque peu assagis. Ils n'ont plus la tête à la fête sans compter.

Selon Alexis Meyer, directeur de la boutique Les Ambassadeurs à Genève, on assiste certes à un recul du volume des ventes, mais celui-ci s'accompagne d'une plus forte orientation vers des produits de grande qualité et d'un intérêt tout particulier pour les pièces exceptionnelles.

Un changement amorcé dès 2005

Ce changement ne découle pas uniquement de la crise. Patrick Cremers, directeur de la chronométrie lausannoise A l'Emeraude, affirme que ce processus est en marche depuis quelques années. Une étude réalisée en 2005 par le Comité Colbert, association rassemblant 70 maisons de luxe, relevait déjà à l'époque une modification dans les habitudes du consommateur russe.

La présence toujours plus importante de marques prestigieuses en Russie, le développement des médias ainsi que les nombreux voyages effectués en Europe, ont contribué à modifier le rapport au luxe de cette clientèle. Considérée, de manière un peu caricaturale, comme adepte du luxe clinquant et tape à l'oeil, elle semble vouloir s'affranchir de cette étiquette et exprimer son propre goût.

Exclusivité et personnalisation de plus en plus forte sont à l'ordre du jour. En privilégiant ainsi le métissage et en se recentrant sur la qualité, les Russes, de moins en moins dupes, entrent dans une logique de «connaisseur» et optent pour un luxe plus discret.

Un mal pour un bien?


La décroissance ne serait donc pas si mauvaise. Elle permettrait un recentrage sur des valeurs plus traditionnelles du luxe: l'excellence, l'exclusivité et le savoir-faire. Dès lors, les marques proposant des produits correspondant à ce niveau d'exigence ne devraient pas perdre complètement cette clientèle.

Qui plus est, dans leur dernière étude sur le marché mondial du luxe, le cabinet Bain & Company affirme que le secteur horloger bénéficie d'un statut tout particulier dans les pays " émergents ". Les montres seraient en effet le premier produit acheté par les nouveaux riches. En Russie, les garde-temps représentent un symbole de réussite fort. De nombreux hommes politiques, dont le président et son premier ministre, arborent même au poignet des pièces grandes complications.

Ce lien entre la classe dirigeante russe et les maîtres horlogers ne date pas d'hier – Breguet et Ulysse Nardin vendaient leurs montres aux tsars –, mais il a été consolidé ces dernières années par un grand travail de communication effectué sur place. Ouverture de boutiques en grande pompe, création d'événements, organisation d'expositions participent de cette réussite.

S'il ne faut donc pas minimiser la diminution de la demande et les pertes considérables que celle-ci occasionne auprès des marques jugées " plus accessibles ", le marché russe est loin d'être mourant. Pour Norbert Boutelier, directeur de la chronométrie Kunz à Genève, il conserve un grand potentiel économique. D'ailleurs, à en croire Bain & Company, l'avenir est tout à fait prometteur: les dépenses en produits de luxe des riches et super-riches (individus dont l'actif net est supérieur à 1 million de dollars) devraient augmenter ces cinq prochaines années de +20% à +35% sur les marchés émergents du BRIC, dont la Russie fait partie.
 
Chloé Gabathuler
 
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