La question de la propriété intellectuelle des dessins de bijoux secoue le monde de la joaillerie


A qui appartiennent les dessins réalisés pour les grandes maisons de luxe ? Un conflit entre un créateur et Van Cleef & Arpels fait trembler la profession.

Thierry Berthelot a gagné une bataille. Mais il sait que la guerre risque d'être encore longue. Le conseil des prud'hommes de Paris a condamné, le 18 mars, le prestigieux joaillier Van Cleef & Arpels à verser la somme de 120 000 euros de dommages et intérêts à son ex-employé. "Pour moi, dit-il, ce n'était pas une question d'argent, plutôt une question d'honneur. J'ai refusé de reculer." Thierry Berthelot se garde pourtant de crier victoire. Car, dans ce conflit du travail, d'autres procédures sont encore en cours. Et l'employeur a décidé de faire appel du jugement des prud'hommes.

Quand il est entré chez Van Cleef, en juillet 1985, comme ouvrier joaillier, tout juste sorti de l'école du Louvre, Thierry Berthelot n'aurait jamais cru que la belle histoire se terminerait ainsi. Là où beaucoup de jeunes gens hésitent sur le choix d'une profession, lui, il sait. "Dès l'âge de 8 ans, je voulais faire ce métier, assure-t-il. Je n'ai jamais voulu être pompier ! " Pendant quatorze ans, il travaille dans l'atelier de fabrication des bijoux et parures dans une « ambiance familiale ».

Puis, en 1999, l'ambition lui vient de rejoindre l'atelier de création, où sont dessinés les modèles qui font la réputation de la maison. La démarche est inhabituelle, mais Van Cleef lui donne sa chance, à ses risques. Pendant cinq ans, Thierry Berthelot n'a la tête qu'aux bijoux.

Dans le même temps, la société, rachetée par le groupe suisse Richemont, modifie sa stratégie : si elle continue à fabriquer des modèles haut de gamme réservés à une riche clientèle, elle se lance aussi dans la production de pièces de 1 500 à 2 000 euros. Berthelot « monte en grade », il rend visite aux clients VIP, gère les commandes internationales, participe au préachat des pierres. « On a tout fait pour le promouvoir », assure Marc Frisanco, responsable juridique chez Richemont.

"Mon client a donné un coup de pied dans la fourmilière"

"En avril 2004, la direction lui demande de signer un contrat de travail. Pour la première fois en presque vingt ans, il doit apposer sa signature au bas d'un document officiel. Sauf que le contenu ne lui convient pas...

Il refuse en effet de renoncer à toute propriété intellectuelle sur ses dessins de bijoux passés et futurs, comme le stipule le contrat. "Chez les concurrents, précise-t-il, il y avait en contrepartie des augmentations de salaire, une voiture, des bonus, et là rien. " Le conflit s'envenime, au point que les prud'hommes, dans leur jugement du 18 mars, considèrent que Berthelot a été victime de harcèlement. "On me disait que je serais grillé sur toute la place", explique-t-il.

Licencié pour faute grave, il quitte la maison le 21 septembre 2005. Auparavant, il a récupéré les originaux des dessins et obtenu du tribunal leur mise sous séquestre. Cette soustraction suscite la colère du joaillier, qui porte plainte pour vol. Le 15 juin 2006, une perquisition a même lieu au domicile de Thierry Berthelot, placé en garde à vue pendant trente-deux heures. "Ce qu'on reproche à mon client, c'est simple, dit Me Guillaume-Denis Faure : il est celui qui a donné un coup de pied dans la fourmilière."

Mes Vincent Fauchoux et Laurent Carrié, avocats de Van Cleef, contestent le fondement même de l'action de l'ex-employé. "La joaillerie a toujours été une oeuvre collective. Le dessin n'est qu'une contribution au bijou. Et la cliente, c'est du Van Cleef qu'elle veut." Pour obtenir gain de cause à l'audience civile du 25 mai, ils comptent sur un jugement favorable rendu en 2008 dans un cas semblable.

Aujourd'hui, Thierry Berthelot a créé sa propre société. Pour continuer à vivre sa passion. Et attendre la fin de la guerre judiciaire.

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