Quand le bijou Art déco célébrait le cubisme

LE MONDE - 15.04.09

Exceptionnelle par son sujet et son ampleur, l'exposition "Bijoux Art déco et avant-garde. Jean Després et les bijoutiers modernes", présentée au Musée des arts décoratifs, à Paris, jusqu'au 12 juillet, réunit pour la première fois plus de 300 bijoux et pièces d'orfèvrerie des années 1920-1930. Des pièces rares, de toute beauté. La plupart proviennent de soixante-trois collections privées, d'Allemagne et des Etats-Unis surtout, notamment de la Primavera Gallery à New York, l'une des premières galeries de joaillerie Art déco. "Il a fallu attendre des années pour que les antiquaires et les artistes s'intéressent à ces bijoux", explique Dominique Forest, conservatrice du département moderne et contemporain du musée.

L'engouement pour les bagues et broches graphiques, les manchettes articulées, mariant les pierres semi-précieuses à l'argent dans des compositions géométriques épurées, rend hommage à ces artistes qui célébraient l'ère de la vitesse et des belles mécaniques. C'était les Années folles, l'époque nègre, l'époque jazz, celle du cubisme apprivoisé, de l'émancipation des femmes, des "garçonnes", de Joséphine Baker et de Paul Poiret.

Dans la foulée de l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, ce bouillonnement artistique très parisien donne naissance en 1930, sur l'impulsion de l'architecte et designer Robert Mallet-Stevens (1886-1945), à l'Union des artistes modernes. Nombre des "joailliers" réunis dans cette exposition en étaient membres fondateurs. Adeptes de la simplification des formes et de la rigueur des compositions - cercles, triangles, carrés, losanges -, des surfaces lisses et des arêtes vives, ces artistes opposent la transparence de la citrine ou de l'améthyste à l'opacité et aux couleurs tranchées de l'onyx, du jade, du lapis-lazuli et du corail.

Une esthétique de la modernité dont l'écrivain Blaise Cendrars (1887-1961) se fait le chantre : "Volume, surface, forme, ligne, matière, angle, poids, métal, couleur... tout est le produit des mathématiques (...). Sobriété, confort, luxe, c'est aujourd'hui", écrit-il pour l'inauguration de la nouvelle Compagnie des arts français. L'histoire lui donne raison, ces créations sont toujours d'aujourd'hui, plus modernes que jamais.

"BRACELET CHAÎNE DE VÉLO"

Avec ses "bijoux moteurs", Jean Després (1889-1980), le "Picasso de l'orfèvrerie", comme l'appelaient certains de ses contemporains, s'approprie l'univers de la mécanique dont les pièces-clés nourrissent son inspiration : bielle, engrenage, roue dentée. Ses "bagues cames", "broche vilebrequin" en onyx, laque et émail, "bracelet chaîne de vélo" en argent martelé, et "pendentif lame de couteau" d'argent, onyx et citrine, illustrent l'influence du cubisme, de l'abstraction, des jeux de construction mariant la courbe et l'angle droit, sur les arts décoratifs.

S'étant vu refuser l'exposition de ses oeuvres au Salon d'Automne de 1928, Jean Després, très lié au peintre Georges Braque, sera salué, dès 1930, comme l'un des principaux protagonistes du bijou moderne. Son travail d'orfèvre est ici représenté par une collection de vases et de couverts parfaits de proportions. Point d'orgue de la célébration de son oeuvre, ses cahiers de croquis, des centaines de modèles dessinés au crayon avec leur cote à grandeur d'exécution, qui sont un trésor que le musée a eu la bonne idée de montrer.

L'exposition révèle le talent d'artistes d'avant-garde moins connus comme Suzanne Belperron (1900-1983), Jean Fouquet (1899-1904), Raymond Templier (1891-1968) ou Gérard Sandoz (1902-1995), qui utilisaient des matériaux inédits en bijouterie, le métal, la laque, l'ébène ou le cristal. Dans les vitrines trônent le bracelet en cristal de roche, diamant et platine, signé Cartier, de l'actrice américaine Gloria Swanson, la manchette créée par Jean Dunand pour Joséphine Baker, le jonc à billes offert par Jean Gabin à Marlene Dietrich. Et ainsi de suite, de merveille en merveille. Une exposition à ne pas manquer.


"Bijoux Art déco et avant-garde. Jean Després et les bijoutiers modernes". Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris-2e. Mo Palais-Royal. Jusqu'au 12 juillet. Du mardi au vendredi, de 11 heures à 18 heures ; jeudi, jusqu'à 21 heures ; samedi et dimanche, de 10 heures à 18 heures. 8 €.

Catalogues : "Bijoux Art déco et avant-garde" et "Jean Després, bijoutier et orfèvre entre Art déco et modernité", deux coéditions Les Arts décoratifs-Norma Ed., 248 p., 350 ill., 55 €, chaque volume.

Florence Evin
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