L'éclat perdu des petits diamantaires

Le travail des pierres précieuses avait fait la fortune de la région du Saurashtra, dans le Gujarat. Avec la crise, les employés sont obligés de se reconvertir et de retourner aux champs.

Dans les rues autrefois animées du quartier des diamantaires, à Amreli [Etat du Gujarat, dans le nord-ouest de l'Inde], le seul volet encore ouvert est celui du bureau de Lalit Thummar. Tout autour, ce ne sont que petits ateliers de polissage du diamant décrépits, aux rideaux de fer recouverts d'une épaisse couche de poussière, aux vitrines colonisées par des chiens errants. Thummar est président de l'Association du quartier du diamant d'Amreli et porte-parole de la Fédération du diamant du Gujarat. "Jusqu'à une date récente, nous comptions 1 451 entreprises de polissage employant 60 000 personnes. Seules 223 restent en activité, et encore, officiellement ; 57 000 hommes au moins ont déjà perdu leur emploi. Rien que dans cette partie de la ville, on a dénombré 259 unités de production, mais aujourd'hui vous n'en verrez que 6 encore ouvertes", déplore Thummar.

Il y a six mois à peine, cette situation était inimaginable. Au Gujarat, ce secteur réalisait un chiffre d'affaires annuel de 15 milliards de roupies [220 millions d'euros] et employait 800 000 personnes. Il représentait 72 % des diamants traités dans le monde et quelque 85 % des exportations indiennes de diamants. En 2008, il a contribué à hauteur de 13,4 % aux revenus en devises étrangères du pays. Les diamants avaient également changé radicalement l'économie et le paysage de la région, rapportant plus de revenus que l'agriculture ne l'avait jamais fait. Plus de 85 % des travailleurs du diamant du Gujarat étaient originaires de la région du Saurashtra, et à elle seule Amreli fournissait plus de 250 000 employés. Pour cette ville de taille modeste, le diamant était une manne tombée du ciel. C'était une économie en grande partie souterraine, non organisée, où les déclarations de revenus et les contrôles fiscaux étaient rares, mais le chiffre d'affaires énorme.

Du jour au lendemain, tout cela a disparu. De désespoir, dans de nombreuses localités du Gujarat, les ouvriers du diamant réduits au chômage se suicident les uns après les autres. Le bilan s'élève pour l'heure à 41 morts dans l'ensemble de l'Etat au cours des trois derniers mois. "Les emplois sont détruits par milliers, les familles meurent de faim, les couples se défont, rapporte Thummar. Les parents ne sont plus en mesure de payer les études de leurs enfants. Des hommes qui maniaient des pierres précieuses se transforment en petits voleurs d'automobiles, en escrocs, en trafiquants d'alcool et même en faux-monnayeurs. Personne ne voit de solution ; personne ne sait de quoi sera fait l'avenir." Des centaines de demandes d'aide au paiement des frais de scolarité pour les enfants de diamantaires au chômage s'amoncellent dans un coin de son bureau. Lorsque le taux d'abandon en cours d'études est monté en flèche, le Conseil pour la promotion des exportations de gemmes et de joaillerie a fait un don de 5 millions de roupies [73 000 euros], et quelques ONG ont également apporté leur soutien. Mais pour Thummar ces fonds ne seront pas suffisants si le nombre des enfants qui quittent le système scolaire continue d'augmenter.

Dans sa vieille bi­coque de briques et de bardeaux à Vandolia, dans les environs d'Am­reli, Dhuli Ratholi pleure doucement, le visage caché par un pan de son sari. Dans un cadre ceint d'une guirlande rituelle, accroché au mur de bouse, il y a une photo de son fils décédé, Kishore. Les hommes du village commencent généralement à travailler le diamant à l'adolescence. C'était le cas de Kishore. Tout ce que la famille possédait, c'étaient deux bigha et demi [un peu moins d'un demi-hectare] de terres essentiellement incultes, un petit logement et une vache. Il y a trois ans, son frère aîné était parti à Surat pour travailler chez un diamantaire ; quelques mois plus tard, Kishore avait décroché un emploi dans un atelier de polissage dans les environs d'Amreli. Les frères envoyaient à la maison 5 000 roupies environ tous les mois. Puis la crise a éclaté. Un matin, il y a six mois, Kishore s'est présenté à son entreprise, mais il l'a trouvée fermée. Peu après, son frère est revenu, lui aussi, et la famille n'a plus alors disposé d'aucune source de revenus. Des semaines durant, Kishore a erré, désœuvré, dans son village. Le mois dernier, il a craqué. Il a avalé le contenu d'une bouteille d'insecticide dans une grange, près de sa maison. Il avait à peine 18 ans.

Selon le maire de Vandolia, Javer Patel, un tiers environ des 7 000 habitants du village ont travaillé dans l'industrie du diamant depuis la fin des années 1980. Nombre d'entre eux étaient des agriculteurs ou des ouvriers agricoles qui se sont convertis à la taille et au polissage quand la sécheresse persistante a rendu l'agriculture difficile. Ils envoyaient à leurs familles plus d'argent qu'ils n'en avaient jamais gagné auparavant. La plupart sont à présent rentrés chez eux, sans ressources et sans espoir, et, d'après Patel, la crise crée des tensions dans de nombreuses familles du village. Quand ces hommes étaient partis travailler dans le secteur du diamant, d'autres, originaires du Gujarat et même d'Etats voisins, les avaient remplacés dans les villages comme ouvriers agricoles. Maintenant que les tailleurs de pierres précieuses se retrouvent au chômage, les migrants sont chassés des hameaux. De leur côté, les villageois, qui avaient pris l'habitude de travailler à l'intérieur d'ateliers relativement frais et confortables, ont du mal à se replonger dans la chaleur et la poussière des exploitations agricoles. Et la plupart ne possèdent pas d'autres qualifications qui leur permettraient de se reconvertir. Dans ces contrées désolées, rares sont ceux qui se sont adaptés à la crise. Kalubhai Dhanani est de ceux qui tentent de s'en sortir. L'agriculture était impossible sur son terrain aride et il avait depuis longtemps renoncé à un épuisant travail physique. Aussi a-t-il construit une baraque au bord de la route, où il s'est mis à vendre des légumes. On est très loin du bureau climatisé qui était le sien, mais Kalubhai reconnaît qu'au moins c'est un "boulot assis" et, les jours fastes, il gagne de quoi nourrir la famille.

Ce dont a le plus pâti la filière du diamant, c'est de la profonde récession aux Etats-Unis – plus de la moitié des pierres traitées dans le Gujarat sont exportées vers ce pays, et le reste en Europe et ailleurs. La crise a débuté quand le marché américain a commencé à dévisser. Les grands diamantaires, qui peuvent compter sur une clientèle captive et des réserves de liquidités, ont sans doute les moyens de faire le dos rond, mais les plus petits, qui se chargent principalement de la taille et du polissage, ont par centaines mis la clé sous la porte. Confronté aux destructions d'emploi et aux suicides de masse, le gouvernement du Gujarat a, dans un premier temps, réagi avec rapidité, demandant au gouvernement fédéral d'intervenir, réduisant le taux de TVA et donnant même l'ordre aux entreprises fermées de reprendre leur activité. Mais les reconversions sont difficiles et de nombreux chômeurs tombent dans la délinquance. La police de Surat a pris sur le fait une dizaine d'entre eux, qui étaient en train de voler des voitures, de vendre de l'eau-de-vie et même d'imprimer de la fausse monnaie, et ce rien que ces derniers mois. Pour l'heure, le brillant a perdu son éclat.

Rajeev P. I.

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