Mauboussin, joaillier atypique de la place Vendôme

Dans l'univers feutré des joailliers de la place Vendôme, Mauboussin fait figure d'enfant terrible qui n'a pas craint de briser les tabous du secteur du luxe pour imposer sa marque.

La société, rachetée à la famille Mauboussin en 2002 par le financier suisse Dominique Frémont, a rompu avec les codes de l'industrie en proposant des bijoux à des prix plus accessibles que ceux de ses confrères de la "Place" et en lançant des campagnes de communication iconoclastes.

Après avoir décidé, en 2004, d'afficher systématiquement le prix de ses bijoux, Mauboussin s'est offert une campagne télévisée fin 2007, avant de choisir le métro parisien, en 2008, supports alors impensables pour un joaillier de cette catégorie.

"Nous sommes différents. Je ne suis pas la pensée dominante et je crois qu'un certain nombre de codes ne sont plus en cohérence avec l'évolution de la société", a confié à Reuters Alain Nemarq, président de Mauboussin, lors d'une interview.

"Le produit de luxe se différencie par sa création et son émotion. Le schéma du bijou comme trophée social acquis par les hommes pour leurs femmes est totalement révolu. Les achats sont de plus en plus effectués par les femmes", ajoute-t-il.

Il s'apprête à franchir un nouveau pas, début mai, avec une campagne télévisée qui dévoilera elle aussi les prix des bijoux.

Aux dires d'Alain Nemarq, la taille "très modeste" de Mauboussin l'a protégée de l'animosité de ses confrères, car "elle ne change pas la donne du marché". "Notre innovation commerciale et créative nous permet d'exister", ajoute-t-il.

SCANDALE

La société, qui réalise environ la moitié de son chiffre d'affaires avec des bijoux dont le prix oscille entre 800 et 3.000 euros, avait défrayé la chronique en 2005 en lançant un solitaire "grand public" doté d'un diamant dont la couleur et la qualité ne correspondaient pas à celles des produits haut de gamme. "On a crié au scandale, à la rupture des codes du luxe. Le succès de cette bague a été énorme. Nous en avons vendu 40.000 en moins de quatre ans", a précisé Alain Nemarq.

Cette stratégie d'accessibilité s'est, selon lui, révélée payante en termes de croissance et n'a pas freiné les ventes des bijoux de très haut de gamme (plus de 30.000 euros), qui représentent toujours plus d'un tiers du chiffre d'affaires.

En 2008, Mauboussin a réalisé des ventes de 30 millions d'euros, en progression de 7% à périmètre et changes constants, et la société vise une croissance analogue en 2009 alors que le marché mondial de la joaillerie, très durement touché par la crise, voit ses ventes plonger.

De grands noms du secteur comme l'américain Tiffany, l'italien Bulgari ou le suisse Richemont (Cartier, Van Cleef & Arpels) ont d'ores et déjà annoncé que l'exercice 2009 serait très difficile.

Après une perte en 2007, Mauboussin a été bénéficiaire en 2008, avec un Ebitda et un résultat net équivalents à respectivement 5% et 1% de ses ventes.

"Dans la crise, la clientèle fortunée se dit qu'acheter cher ce n'est pas acheter au juste prix. Nous en profitons", explique Alain Nemarq, qui précise pratiquer des marges de 15% à 20% inférieures à celles de ses concurrents.

Par ailleurs, le joaillier n'entend pas réduire ses investissements du fait de la crise. Bien au contraire. "Je suis à contre-pied. J'opte pour une stratégie d'occupation du marché", explique Alain Nemarq qui s'est fixé pour objectif d'atteindre un chiffre d'affaires de 65 millions d'euros d'ici à 2012 et un résultat net équivalent à 5% de ses ventes.

Après New York en octobre 2008 et Tokyo il y a deux mois, Mauboussin va ouvrir un autre magasin en propre à Singapour en septembre. Il doit aussi créer trois enseignes en franchise entre mai et juillet à Séoul, Hong Kong et Macao.

UN STYLE

Face aux importants investissements réalisés pour sa croissance (80 millions d'euros depuis 2000), Mauboussin, qui emploie une centaine de personnes, a opté pour l'intégration de ses réseaux de distribution afin de réduire ses coûts et se dit "très regardant sur sa politique de frais".

Mauboussin se démarque aussi de ses concurrents par le style de ses boutiques, très éloigné de l'ambiance feutrée des grands joaillers. Au n°20 de la "Place", l'étroite façade laisse découvrir un mobilier contemporain aux couleurs acidulées, ponctuées de vastes fauteuils de cuir verni noir.

Sur les Champs-Elysées, où le joaillier n'a pas craint d'ouvrir une boutique jouxtant une enseigne de "fast food", le magasin a été livré à l'univers poétique du peintre japonais Aki Kuroda, tandis que l'architecte-designer David Rockwell a conçu celui de New York, ouvert en octobre 2008.

L'histoire de la maison est, elle aussi, singulière. Créée en 1827, la joaillerie prospère dans les années 1980-1990 sous la houlette de Patrick Mauboussin, grâce aux commandes du sultan de Bruneï qui lui assure environ 80% de son chiffre d'affaires.

Mais la manne cesse brutalement en 1998 et la maison se lance dans une stratégie de développement et d'investissements massifs. En 2001, elle réalise 20 millions d'euros de chiffre d'affaires et accuse une perte d'environ 30 millions.

Son propriétaire décide alors de passer la main au tandem formé par Dominique Frémont, qui acquiert 20% du capital (il montera à 100% ensuite), et Alain Nemarq, spécialiste de la gestion de marques en situation difficile.

Mauboussin reste, avec l'italien Buccellati, le seul joaillier indépendant de la place Vendôme, les autres maisons appartenant aux groupes Richemont, LVMH ou PPR.

Le marché français de la joaillerie est estimé à environ 3,6 milliards d'euros, pour des ventes mondiales de 100 milliards de dollars, attendues en baisse de 12% en 2009 par Bain & Co.

Jacques Poznanski

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